Portant un intérêt mesuré à ma petite personne, j’ai recueilli quelques-unes des questions qui se présentent à moi et repartent souvent le ventre vide. Je leur offre ici le gîte et le couvert. Que les contributeurs qui m’assisteront dans ce refuge soient ici vivement remerciés (voir rubrique « m’écrire »)
La question du métier.
Ne surtout pas dire que je suis professeur. Un écrivain prof ? Encore un qui s’occupe pendant ses vacances, prise de risque zéro, loin de la « vraie vie ». Un prof écrivain ? Vieux jeu, troisième république, style académique, page de dictée. Dans tous les cas, mal vu.
La question de l’écriture : curiosité génétique.
On me demande quand et comment « ça m’est venu ». Très tôt par les livres des autres, la chambre de livres remplaçant celle que je n’avais pas dans les murs. Mention spéciale à Victor Hugo, lu dans une vieille édition du grand-père en cuir maroquin rouge sang, caractères Garamond, d’une puissante sensualité de contact : saveur matérielle supplémentaire. Puis j’ai rempli des piles de cahiers, avec des dessins, des histoires que je ne montrais à personne, premiers graffitis, récits embryonnaires. L’adolescence, ensuite : Proust par une amie sous des seringats à Mennecy, Platon et Nietzche trop tôt sans bien comprendre, L’Education sentimentale couchée sous la vigne à San Gimignano, et encore Rimbaud, Baudelaire, Virginia Woolf etc… Je crois avoir fait deux pneumonies consécutives l’année du bac pour pouvoir terminer Les frères Karamazov. Je crois avoir renoncé à présenter un doctorat pour cause de chute grave dans la littérature étrangère. J’ai commencé une autre vie dans ma vie en lisant La Guerre et la Paix. Je voyage immobile dans la littérature américaine, italienne, japonaise plus particulièrement.
La question de l’écriture : souci de fabrication.
On me demande aussi quand et comment « ça me vient ». Je repense à mon père : « Mais où va-t-elle chercher tout ça ? » Cette question me fait rire. Je n’y ai jamais répondu. Partout et tout le temps la vie fait le livre.
Les œuvres des autres accompagnent le mouvement : parmi eux, mes admirés toujours plus nombreux dans tous les arts (j’aime ce mot « admirer », ad mirare ; regarder vers). J’avoue chercher dans tous les genres à m'enthousiasmer pour mes contemporains. Attente, espoir, peur d’être déçue. Joie, souvent, d'être nourrie par les vivants !
Un vivier parallèle : l’histoire de l’art. On me dit que j’écris « en images », ceci expliqué par cela ? A seize ans, des heures de musée, dans les encyclopédies de la bibliothèque municipale, époque après époque (un vieux monsieur avait entrepris d’avaler la Pléiade par ordre alphabétique ; je me rappelle qu’il mourut à la lettre Q, qui n’est pas la plus propice aux fins honorables).
Le cinéma et le théâtre bien sûr aussi, mais c’est une autre histoire…
Ce qu’il me faut.
Pour ? Pourquoi « pour ». Ce qu’il me faut. Répétez plusieurs fois l’expression ce qu’il me faut ce qu’il me faut ce qu’il me faut, et vous verrez se dissiper les données universelles (l’amour, la santé, paix et démocratie dans le monde, une carte bleue…). S’approchent des choses plus minces, en plus menu partage. Il me faut : des compagnies intelligentes en chair et en papier, des paysages sans grand monde ni grand effet, des arbres, du silence, certains visages. Cette lumière-là sur ces peupliers-là, aujourd’hui. La mer aussi, par intervalles et longues nages solitaires. Crayon noir et papier au minimum. Un éditeur, stable si possible, avec qui se sentir en confiance. Et dans tous les cas, souple et solide, un bon système nerveux.
Ce qui peut me faire fuir ?
« Tout ce qui m’ennuie » ? Non, je ne m’ennuie jamais. Peuvent m’emmerder en revanche les stéréotypes, les institutions, les papiers administratifs, les mondanités, l’abus d’eau minérale, la musique des années 80, les scooters de mer, le manque d’humour, l’humour systématique, la vitesse au petit déjeuner. Le spectacle de la surféminité, de la survirilité, de l’hypocrisie. Le bruit. Le gaspillage de l’enfance, aussi assez répandu (prévoir « ce qui me fait mordre ») Les pensées toxiques.
Un mot que j’aime, un mot que je n’aime pas ?
Le mot « volupté » est bon à prononcer, engageant toute la bouche, imitant ce qu’il dit et le provoquant. Aujourd’hui détrôné partout par un cousin hâbleur : « plaisir ». Je n’aime pas « trader ». Je l’ai vu abîmer pas mal de rêves d’avenir chez des adolescents.
La place de ce site dans mon travail ?
Une occasion de m’essayer à un nouveau format, un nouveau rythme, à côté de ce que je fais, avec la prise de risque accrue d’une certaine irrégularité/inégalité. Je le vois comme un lieu, non comme une vitrine. Comme la place d’un minuscule village où vous reviendrez, j’espère, frôlant d’autres passants, en saluant certains. Il y a quoi qu’on dise tant d’auteurs, tant de gens qui se collent à toute forme de réflexion, de création, d’engagement, et souffrent de visibilité manquante et d’isolement. Bon nombre d’éditeurs et producteurs anxieux de leur sort roulent sourire aux lèvres mais le « warning » comptable un peu vite allumé : il faut laisser temps et espace pour les vraies nécessités d'écrire, temps et espace pour atteindre les destinataires de cette énergie profuse et diffuse.
Je vous salue, les quelques-uns ! Je ne crois pas à la mort de la soif.
Cette phrase de Pascal Quignard : « Ne demandez pas à l’océan qu’il désaltère. Il faut porter nos mains vers les petites sources. »