« Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps...»
    Là, tout le monde connaît. Quand bien même il ne resterait plus grand tissu à la culture commune, « Demain dès l’aube » en serait un des brins ultimes. Même ceux qui vous charrient d’aimer Victor Hugo laissent glisser un chapeau bas. Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, ils partent tous.
    J’ai un faible particulier pour le quatrième vers : « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. » On croit qu’il est simple et dit tout du deuil dans un vocabulaire d’enfant. Vraiment ?
   Tout est mouvement : le poète ira, ira « vers Harfleur », marchera, mettra le  bouquet sur la tombe. Tout est affirmation dans cette cascade de futurs, cette ponctuation marquée, cette césure martialement déplacée, « Je partirai ». Ce dialogue que ne feutre pas l’ombre d’un doute : « Je sais que tu m’attends ».
    Or ici, soudaine suspension : « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. » Aveu d’incapacité de ce « je ne puis ». Statisme du verbe d’état enrayant la course. Jaillissement final d’une durée longue, dilatant le « demain » de l’ouverture. Fluidité d’une vers-phrase passant sans une virgule, sans une figure de style (avec, pour les amateurs de métrique, ses coupes régulières).
    Ce « je ne puis » n’est pas « je ne peux », ce « demeurer » n’est pas « rester » - noblesse quasiment racinienne. Non, ça ne dit pas la même chose. Une infime solennité, une gravité supérieure. Un pas de côté hors de la chose vécue, pour y revenir autrement, nous y amener autrement.
     « Loin de toi plus longtemps. » Le mouvement pour la rejoindre a déjà eu lieu, puisqu’il est écrit. Puisqu’il est parlé, avec ce tutoiement qui court aussi jusqu’au bout. Nous y sommes, donc. Pourtant c’est l’impossible absolu. On ne « demeurera » pas au cimetière, ce lieu des demi-tours inévitables. La mort est ce « longtemps » définitif qu’on ne peut moduler d’aucun « plus » ni d’aucun « moins ». Mais là, nous y croyons, à l’impossible : l’impossible, tout le poème le précipite dans l’élan blanc de l’aube, le met en fleur dans cette bruyère qui ne fane jamais dans le vers final.
    Faites l’expérience d’ôter ce vers en le lisant : le poème perd sa résonance. Cette note mate en apparence porte tout le reste comme cette invisible pièce de bois, maintenue verticale entre le fond et la table des violons, qui décide de leur voix, qu’en lutherie on appelle « l’âme ».
 

"Demain dès l'aube", Victor Hugo, Les Contemplations, 1856
Il y a toutes sortes de blancs, Ferrier
Sur nos vies miraculeuses, Quignard
  Giono et Virgile, Giono est Virgile
Une sorte de territoire, Lyonel Trouillot
Donc, allez, vagabonds sans trêves
La beauté enterrée sous les cendres
Le cinéma Duras
Gabriel Garcia Marquez
"Tellement pétri de faillibilité" , Zweig et Roth
   Le dernier monde d'Henry Bauchau
   "Souvenir oublié, vivant..." Apollinaire
   Mon pauvre enfant, Verlaine
   L'enfer d'Italo Calvino
   Le surgissement du grand réel
   Aujourd'hui.... Desnos
   Kundera et l'insignifiance
   Je n'ai pas oublié... Baudelaire
    La nuit noire de Jean Racine
    "Jésus marchait"
    "Le ciel du temps"
    « dans l'air étoilé des cartes »
    « Alors que nous marchions... »
« Qui dira ce qui est beau… »
« Je ne puis demeurer loin
de toi plus longtemps… »
« La lumière l’accompagnait… »
« Longtemps je me suis couchée...»
Comme un tableau
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Catherine Vigourt