L’addition des oiseaux, hélés du fond marine de la dernière œuvre. Crépitement d’histoire et de latinité. Convocation du réel jusqu’à la lapidation.
Puis, en trois apnées, soustraction : les arbres du Golgatha sous l’astre des désastres, la phrase raréfiée, l’appel sans exclamation.
Quand j’ai lu ces lignes la première fois je suis tombée en arrière à plat sur le lit le plus proche, les bras écartés, réprimant un cri court.
Soufflée.
Vie de Joseph Roulin, Pierre Michon (Verdier, 1988)
Portrait de Joseph Roulin assis, Vincent Van Gogh, 1888, Museum of fine arts, Boston
Champ de blé avec corbeaux, Vincent Van Gogh, 1890, Musée Van Gogh, Amsterdam
«… c’est vous, corbeaux là-dessus volant que nul ne saurait acheter, dont on n’a pas l’usage, qui ne parlez pas et n’êtes mangés que dans les pires disettes, dont Fouquier même ne voudrait pas à son chapeau, chers corbeaux à qui le Seigneur a donné des ailes d’un noir mat, un cri qui casse, un vol de pierre, et par la bouche de Linné Son serviteur le nom impérial de Corvus corax. C’est vous, chemins. Ifs qui mourez comme des hommes. Et toi soleil. »
La valeur marchande ne dit pas le prix : c’est bien pour cela qu’elle le fixe. Cet Inestimable-là, ni le regard de l’homme peint sur le peintre, ni celui de l’écrivain sur les deux côtés de la toile n’en épuisent le mystère. Il reste alors le plus difficile : laisser parler les choses. Ce que fait Michon dans l’incroyable dessaisissement de sa demi-page finale. « Qui dira ce qui est beau…» :
Dans la Vie de Joseph Roulin, Pierre Michon sonde les yeux que posa le facteur avide du Grand Soir sur le pauvre peintre hollandais dont personne alors ne prenait la mesure. Quelle cote « l’ami Roulin » accorda-t-il à cet illuminé inconnu sans soupçonner la postérité qu’il donnerait à son visage ?
«Qui dira ce qui est beau… »