La pomme de douche
     
 
      « Aujourd’hui ça va, merci, mais tu m’excuses une minute ? »  dit mon amie de la rue Saint-Sabin avant de disparaître dans sa salle de bain. Son mari l’a quittée, elle a perdu son travail, son psy est nul, et autres discours sur « cette vie de merde » : un armistice provisoire, la douche. 
 
     On n’a pas de bonté avec la douche. Nous la lions aux sentiments de déconvenue (« je me suis fait doucher »), aux devoirs de l’hygiène (« une bonne douche ») à la discipline curative (« à la douche tout le monde ! ») Il y a dans la douche quelque chose qui traîne des colonies de vacances, du service militaire, des terribles systèmes éliminatoires. Le mot est laid. Douche. Un côté vite fait coup de fouet qui va avec la chose.
 
     Les Anglais sont plus gentils - et plus exacts - avec la douche qu’ils appellent « shower », l’averse.
    De la pomme de douche jaillit une ondée sur commande, un ciel en circonférence où rincer la canicule de ses efforts. L’eau des jardins, l’eau qui rince et répare. La douche est le moment où on se caresse en se savonnant, réservant le gant aux plus rudes nettoyages. Où nous sommes l’objet exclusif de notre attention. De cette jubilation vient ce fredonnement chez des gens qui ne chantent pas dans d’autres circonstances. Il arrive que certains s’en châtient d’un jet glacial pour le prétendu bienfait de leurs tissus. Ceux-là même qui achètent des « gels », visant à précipiter leur circulation pour la balancer plus vite dans le trafic général. Il n’en demeure pas moins que la douche est le moment où nous tendons la main à nous-mêmes. Nous nous offrons ce temps des premières eaux retrouvées : mieux vaut ne pas brusquer l’invisible cicatrisation des gouttelettes.
 
     Dans l’appartement de la rue Saint-Sabin les pièces sont étroites, les plomberies vétustes. L’amie-qui-se-porte-comme-un-charme a décroché du mur la tête de douche comme on empoignait les vieux téléphones. Tumultes du chauffe-eau, mitraillades des conduits. Et je devine ce qu’elle ne dit pas : au bruit fixe de l’eau, à sa longue régularité d’un quart d’heure je sens que la douche emporte pour un temps ce qui ruissellera plus tard dans le siphon d’un kleenex. Je suis malheureuse j’ai mal partout je suis toute seule on m’en demande trop je n’en peux plus on veut ma peau.
     La douche suffira-t-elle à filer et fondre ?
    J’entends le quart de tour du robinet, le hoquet d’un tuyau. Un silence d’éponge passe, et de la salle de bain sort alors la phrase suivante :
     - Tu parles d’une vie de merde !
    La robe de chambre rouge
Le MP3
Le piano
Le parasol révolu
La tasse (de café)
Le sécateur
Le crayon
L'aspirateur
Le cadenas
Le carton de déménagement
Le vélo
La tasse de thé
La clé des mers
Les rollers
La serviette verte
Le drap
La chaîne
L'harmonica
Le marteau
Le doudou
Le bonnet
Le cigare
La trousse (de Dodo)
La capuche
La pomme de douche
La vie privée des objets
Comme un tableau
« Longtemps ...»
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Catherine Vigourt