Un matin, j’ai vérifié sans quitter mon lit la supériorité du monde animal. Et mesuré les ressources contrastées que la vie nous offre pour nous permettre de la conserver.
Voilà un préambule sans modestie, mais tout bienheureux pouvant parfois, de sa couette, observer le monde et le rêver me comprendra.
La copropriété s’alarma un beau jour des dégâts qu’infligent à l’immeuble les merdes de pigeon. Bordures de zinc, fenêtres et toitures assaillies de déjections acides et bactériennes : on déclencha illico la guerre des picots. A l’heure où dans ce même univers on recueille fientes fertilisantes et autre guanos il y a chez nous un corps de métier pour dissuader les productions susdites par la pose de tiges métalliques en fourche sur encollage plastifié préalable, au coût de 77 euros au mètre linéaire hors taxe. Le dispositif afficha sur tous les fronts un V gaullien, dont on nous garantissait qu’il nuirait à l’accouplement des pigeons, fauchant du même coup de sa double pointe reproduction et évacuation, pour des siècles et des siècles. Un avenir serein revenait sur nos bords.
Dans un premier temps reculade des roucoulades. La libido en berne, les intestins exilés, les pigeons disparurent. Mais ce matin-là qu’ai-je vu, en poussant de l’orteil le rideau de ma chambrette ? La résistance. Un couple, les Aubrac de la gent volante, s’est installé vaille que vaille de guingois entre les tiges et s’adonne aux exercices du corps incriminés ci-dessus, avec une joie bancale autant que manifeste.
Là, on choisit son solfège. Notes noires : on s’est bien fait avoir, pour ne pas dire pigeonner, la prochaine assemblée générale s’achèvera en bain de fiente, on imagine déjà l’été revenu les guirlandes fécales brandies aux pointes vaines, pour ne pas dire la capitale entière festonnée de la sorte, quelle époque etc.. Notes blanches : beauté de la vie, de la vie quand même toujours et partout, fraternité volatile avec cette espèce qui, somme toute, comme nous, compose avec l’adversité. On peut même relever le tout d’une pointe d’amusement, la seule qui vaille dans cette histoire : pas bien grave, si le stratagème a pu maintenir une petite entreprise, préserver l’emploi du vaillant encolleur de tiges inutiles !
Ce solfège s’étend à bien des choses : la « crise » qui nous frappe peut aussi nous sauver, nous obligeant à repenser nos modes de vie et de production. Cette femme qui vous blesse ne vous guérit-elle pas du regret que vous aviez d’elle ? Ce voisin horripilant qui écoute la messe à fond n’est-il pas l’homme inspiré qui ouvrit votre appartement, ce jour où vous oubliâtes la clé à l’intérieur, en glissant sa radiographie fémorale dans la porte close ?
L’inverse est certes praticable : cette femme que vous aimez, avec qui vous vous passeriez votre vie entière sur un zinc truffé de picots, est aussi la mieux placée pour vous terrasser de toutes les formes de départ. Ces champignons cueillis avec bonheur en lisière de bois vous bombardent de radiations nucléaires et pesticides réunis. Et cetera. Mieux vaut tenir à distance cette deuxième réversibilité qui gâche notre plaisir par amour des colères.
Aller d’une chose à son contraire, d’une idée à sa nuance, ça fatigue parfois, comme ces balancements qui bercent au début et à la longue exaspèrent. Et pourtant ce beau mouvement requiert qu’on renonce au certain, au définitif, au précipité pour s’ajuster sur les pointes opposées et y vivre - nous aussi.