Frans Van Mieris, Le Repas d’huîtres, détail, 1661, La Haye
Manet, Huîtres, 1862, Washington
Mon enquête m’a aussi appris que l’huître n’avait pas de cerveau, qu’elle pouvait changer plusieurs fois de sexe au cours de sa vie, phénomène plus rare encore, chez les fruits de mer du moins. Tout ceci m’émerveille, mais sans doute prépare-t-on déjà, au Skyview de Dubaï, un de ces cocktails dont le prix équivaut au salaire de celui qui les sert : une coupe « Ostrea Eyes en brochette-frisson » ? Dans le domaine du tape-à-l’œil, tout est possible. La preuve.
L’huître ouverte, son corps ainsi offert à notre aspirante prédation, il arrive qu’une beauté minuscule arrête le regard, suspende la fourchette : la bordure sinueuse et sombre du manteau, cette frange d’un gris-vert confondant, une bribe de mer d’Iroise. C’est là qu’ils sont. Juste là. Les yeux. Une douzaine d’yeux, cellules rudimentaires certes, vouées pour l’essentiel au repérage de la luminosité, mais une manière de regard qui échappe au nôtre tandis que nous l’aveuglons d’une giclée citronnée. Aux âmes sensibles je signale un repli possible sur la moule, bivalve totalement dépourvu du moindre système ophtalmique.
perceptions, même si je me rappelle avoir longtemps compté les huîtres parmi les cailloux comestibles, étrange fantaisie des grands.
Je ne sais pas si je me suis posé cette question, enfant, au temps révolu où j’inventais le monde. Les coquilles du temps se sont refermées sur ces premières
L’avantage d’avoir un Petit dans sa vie, c’est qu’il pose les bonnes questions qu’on oublie en grandissant. Celle-ci fit son effet à l’étal du marché : « Elles ont des yeux, les huîtres, Monsieur ? » Notre homme de trancher d’un non catégorique : si le client s’enfuyait à l’idée que l’innocent mollusque pût reconnaître son assassin ?