Il ne faut rien faire, je crois, qu’être là, encore, et y consentir. Au début pensons un peu à s’empêcher de bouger, de vouloir agir, de faire ce qu’on a à faire, pensons même à ne pas trop penser. Dressés que nous sommes à « employer » le temps il arrive qu’on peine à se laisser le perdre, et le trouver ailleurs, comme sur les veines célestes d’un arbre dressé tout près de l’invisible, avalant la pénombre, puis avalé par elle.
La lumière s’est en allée sur la pointe des gris, happée par l’écorce grasse ; le contraste entre ciel et arbre s’est fondu dans une vibration de violet sombre et de noir bleuté – et puis, à un moment qu’on éprouve sans le situer, on le sait, les ténèbres sont là. Des ténèbres comme à la vraie campagne, sans le recours du moindre lampadaire, sans les lueurs indirectes des ciels de ville. Un noir noble, sans compromission, dans la seule présence des étoiles et de la lune encore muette quelque part. C’est beau comme la mer.
Vient l’envie de fermer ses volets, de se blottir sous les tuiles de son toit, sous cette chape d’hiver, de laisser déferler ce silence obscur, ce sommeil des arbres. Le chêne enracine la nuit au bout de mon jardin.
Je n’ai pas une grande richesse : c’est moi qui lui appartiens.
Un chêne magistral, suffisamment haut pour que, de la fenêtre où je le vois, une croisée basse à l’étage, il puisse occuper la totalité de ma vue, se répandre dans la vitre entière. Une fenêtre blanche à carreaux, dont les petits bois disposent en jeu de réussite seize rectangles dont pas un n’est identique.
C’est que la nuit tombe, précédé d’un soir sans tambour ni trompette : pas de coucher de soleil, mais un gris maussade de décembre, les branches nues peuplées d’un vent revêche. Jusqu’au bout je suis restée à admirer l’extinction calme et pleine du jour. Volupté subtile de ce départ, grâce de la journée qui ne sera plus.
J’ai une grande richesse. Une fortune rare. J’ai un arbre au bout d’un jardin.